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Dysphorie / Euphorie : vers la joie d’exister dans sa singularité ?



On parle beaucoup de dysphorie – qu’elle soit de l’humeur ou de genre - un diagnostic qui tombe comme une sentence, voire une malédiction ? En tout cas, un terme pathologisant. En tant que gestalt thérapeute, je désire faire un pas de côté, proposer une ouverture, mettre l’accent sur le mouvement de vie plutôt que fixer les personnes dans un diagnostic qui redouble l’assignation originelle, source du malheur.

Pour cela, éclairer le lexique actuel est important.

La dysphorie vient de dys = difficile et phorein = porter, c'est-à-dire, difficile à porter, supporter. C’est une sensation de trouble, de malaise qui peut aller jusqu’à l’angoisse.

A l’opposé, l’euphorie (eu = bon, allègre, joyeux) est une sensation intense de bien-être, de joie extrême.

Dans les deux cas, il est bien question de sensation, c’est-à-dire du corps vivant qui porte, incarne la joie ou le malaise.

Il est particulièrement question en ce moment d’une forme spécifique de dysphorie : la dysphorie de genre, cette sensation d’un écart, d’une non-coïncidence – difficile à supporter voire insupportable – entre le genre ressenti et le genre assigné à la naissance selon le sexe constaté.

Plusieurs implicites contenus dans cette définition me semblent nécessaires à déplier pour une présence pleinement consciente auprès des personnes qui demandent à être accompagnées.


1 – le sexe et le genre – confondus – sont posés comme «vérité » à la naissance, au vu des seuls organes sexuels externes ;

2 - il est tenu pour acquis que le corps médical a pouvoir de décision pour dire « la vérité » de l’individu ;

3 – ce diagnostic clinique – qui envisage le sujet comme un objet (objet du diagnostic, objet du savoir) – est posé dès la naissance, voire avant avec les technologies actuelles d’imagerie et d’investigation médicale…

4 – cette vérité procède d’une épistémologie de la différence sexuelle binaire, mâle/femelle, qui fonde une différence de genre tout aussi binaire, homme/femme avec les rôles et prérogatives assignés à chacun.e.

Cette différenciation binaire fondée sur le sexe irrigue l’ensemble de notre société, son organisation, celle des rapports entre les individus et des individus avec toutes les structures école, travail etc.


En accompagnant des personnes, des sujets souffrant de dysphorie de genre, je ne peux qu’être interpelé.e par la violence faite aux individus : être objet d’un discours normatif avant même que d’être constitué en tant que Soi, et, plus tard, pour ceux qui entament un délicat parcours de transition, être sommé de dire sa vérité de genre (et de sexe) face aux instances normatives qui vont conditionner l’accès aux « soins ».

Ce que signifie implicitement le « parcours » de transition tel que pratiqué aujourd’hui en France, c’est que la dysphorie est celle du sujet, responsable ? Coupable ? En tout cas malade de ne pas correspondre aux normes qui constituent toute notre vision du monde. Et en plus, cette dysphorie, il doit l’argumenter, en quelque sorte la justifier.


Et si nous retournions notre regard sur la dysphorie de genre ?

Si le malaise n’était pas celui de la personne mais du monde occidental qui pense binaire : homme/femme, hétérosexuel/homosexuel, dedans/dehors… Si la dysphorie était le produit d’un accord sociétal implicite pour faire porter à l’individu le symptôme du malaise de notre monde ? Un peu comme dans ces familles dysfonctionnelles où un membre est en quelque sorte « sacrifié » en tant que « malade », épargnant ainsi au groupe familial une remise en question trop douloureuse et dangereuse pour sa cohésion ?

Pourrions-nous dire, au lieu de « vous souffrez de dysphorie », quelque chose comme : "vous vivez dans un environnement qui vous fait vous sentir dysphorique" ? Tant il est vrai, pour l’être humain, qu’exister c’est « être jeté au monde », indissociable de son environnement, et tenter de trouver son chemin dans cet environnement, avec les autres.


Il n’est bien sûr pas question de nier la souffrance des personnes qui se sentent « dans le mauvais corps » et de ne pas les accompagner dans leur parcours de transition, qu’il soit social, administratif ou médical. Mais de dé-pathologiser la dysphorie, de « mettre du jeu » dans cette injonction d’autant plus forte qu’elle est la plupart du temps impensée : correspondre à son sexe/genre, aux attentes, aux rôles qui y correspondent.


Cet accompagnement, en tant que thérapeute, je l’envisage d’abord comme une présence qui soutient, pas à pas, pour accompagner la personne à se reconnaître, à valider et assumer ses choix, sa prise de responsabilité et donc sa liberté.

L’espace de la thérapie ne devrait-il pas être celui de l’Ouvert ? Un endroit où tout peut être interrogé et réinterrogé ? Le lieu d’une rencontre avec soi-même où il devient possible de se vivre non pas comme non-congruent, dysphorique à cause d’un écart avec une norme fixée, extérieure, mais différent parce que singulier, comme l’est tout être vivant, parce que c’est le propre du vivant.

Le parcours de transition porte bien son nom. C’est un cheminement, qui peut prendre toute une vie, et qui, au-delà des traitements, des opérations et des papiers d’identité, tous au libre choix de l’individu, trouve son accomplissement dans la reconnaissance de soi, non pas par rapport à une norme extérieure, mais par cet alignement, cette rencontre où l'on se reconnaît du plus profond de soi - ah oui ! c'est bien moi - qui fait contacter l’euphorie.

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